Interview Sébastien Mettraux
Au bénéfice d’un Master en arts visuels, vous êtes artiste plasticien. Vous avez aussi été designer indépendant dans le monde horloger. Quel cours dispensez-vous ici à la HEIA-FR ?
En filière d’architecture, les cours que je donne sont liés à l’expression plastique.
En deuxième année, il s’agit d’un cours sur la couleur. En troisième, c’est un cours sur le design et le processus créatif. On travaille sur de l’objet fonctionnel et à l’échelle 1 :1, ce qui n’est pas courant dans la formation d’architecte. En général, les architectes travaillent dans une matérialité et une échelle qui est celle de la maquette.
À l’échelle 1:1, les étudiant-e-s ont réalisé des objets notamment sur le thème de l’extension, cela a abouti par exemple à une chaise qui se déplie en banc en un geste ou à un rocking chair adaptable à toute chaise.
En Master, je dispense aussi un cours sur la sémiologie de l’image.
Entre art et discipline de l’ingénierie, où situez-vous l’architecture ?
Je constate avec plaisir que l’une des dimensions de l’architecte est d’être généraliste. Les architectes sont animés presque systématiquement par une très grande curiosité. C’est fascinant de travailler avec un public aussi intéressé.
Avec l’architecture, on est à mi-chemin de plein de choses. Cette discipline peut s’envisager sous des angles très créatif ou alors très constructif. Il est plutôt rare de trouver des formations qui font appel à autant de polyvalence : dimension créative et constructive, compétences en terme de projet, de collaboration, de communication, dimension commerciale.
L’art a-t-il une place dans une école qui forme des ingénieur-e-s et des architectes ?
Je trouve qu’il y a moins de place pour l’art qu’il y a quelques années. La formation est de plus en plus professionnalisante au détriment des soft skills.
Ceci mis à part, l’architecture a une dimension artistique indéniable. Chez beaucoup d’étudiant-e-s, c’est même un critère de choix dans le choix de cette formation. Certain-e-s étudiant-e-s viennent avec des souhaits artistiques, esthétiques et créatifs.
Mon rôle n’est pas de dispenser des cours comme on les donnerait en école d’art. Ils sont créés avec une envie d’amener un bagage qui a du sens.
Votre travail d’artiste s’intéresse notamment aux machines (exposition Ex machina et Rock me baby). D’où vient votre intérêt pour le domaine ?
Mon intérêt pour la technique est historique et patrimonial. C’est un domaine qui me fascine parce que j’ai grandi dans la région de Vallorbe, une région industrielle, métallurgie, microtechnique, mécanique et horlogère. Ça a nourri mon environnement direct.
Le projet actuel Rock me baby est venu d’une recherche faite en 2018 pour laquelle j’ai reçu la résidence atelier du canton de Vaud à Berlin. Durant ce séjour de six mois j’ai notamment visité la vallée de Glashütte près de Dresde. Ce sont les Mont Métallifères de l’ouest que l’on appelle aussi la Suisse-Saxe. On dirait le Jura helvétique ; des peintres de l’époque lui ont donné ce nom en raison de la ressemblance.
Là-bas, un savoir-faire horloger s’est inscrit depuis environ 150 ans. J’ai pris conscience qu’à une époque, être horloger ou microtechnicien dans ces vallées, c’était comme d’être aujourd’hui codeur dans la Sillicon Valley, pour caricaturer.
Au même titre qu’on a, dans la région de Sainte-Croix, créé des caméras, des machines à écrire, des tourne-disque grâce au savoir-faire horloger, les mêmes produits ont été réalisés vers Dresde.
Vous avez mis sur pied l’exposition Rock me baby qui propose un regard croisé sur la machine à écrire et le paysage industriel vaudois. Quel est le lien de la HEIA-FR avec cette exposition ?
Dans le cadre de la semaine thématique de novembre 2019, les étudiant-e-s m’ont accompagné dans un processus de réflexion.
Nous avons tout d’abord visité les lieux et rencontré les directeurs des trois musées : Centre d’art contemporain d’Yverdon, la Maison d’Ailleurs, le Musée d’Yverdon et région et de la Bibliothèque publique et scolaire d’Yverdon-les-Bains.
Les étudiant-e-s ont ensuite été amené-e-s à imaginer des modules scénographiques pouvant s’intégrer dans des lieux très différents : un ancien château, une ancienne prison, un ancien marché aux grains. Ils et elles ont modélisé ces lieux, ce qui m’a permis de faire ultérieurement la réflexion des espaces.
Un module imaginé par les étudiant-e-s avec des caisses de transport se retrouvera dans l’exposition. Un mobilier de présentation a été réalisé par l’atelier pop-up.
Le fait d’enseigner est-il une source d’inspiration ?
Enseigner est ma formation continue. J’apprends beaucoup par les retours des étudiant-e-s. En termes de stimulation de réflexion, d’apprentissage et de culture générale, c’est très riche.