Portrait de chercheur - Ales Janka
De nombreux ingénieurs aiment les mathématiques parce qu’elles leur permettent de résoudre des problèmes pratiques, mais un mathématicien comme le professeur Janka apprécie les problèmes pratiques parce qu’ils lui permettent de faire usage des mathématiques. «Nous ne proposons pas une application ou un produit fini, dit-il, mais la ruse dont il faut faire preuve pour la résolution du problème».
De la ruse, Ales Janka n’en manque pas, comme lorsqu’il identifie qu’un problème d’apparence insurmontable auquel faisait face une industrie à la pointe de l’innovation avait en fait été résolu 250 ans plus tôt par la génération de mathématiciens des Gauss, Euler ou Bernouilli. «C’est la plus grande contribution que j’ai apportée à l’industrie», déclare-t-il le plus sérieusement du monde.
Il n'est pas rare qu’Ales Janka vienne en aide aux entreprises et s’implique dans la recherche appliquée. Pour ce faire, le professeur de mathématiques ne compte pas que sur la ruse, il recourt volontiers à des batteries de très gros ordinateurs et aux compétences dans le calcul parallèle qu’il développe depuis son master à l’Université de Bohème occidentale, à Pilsen, en République tchèque, à la fin des années 90. Une grande puissance de calcul a par exemple dû être appliquée à un projet de l’EPFL et de Pierre Kuonen, de l’institut iCoSys, pour la planification d’interventions de radio-chirurgie au moyen d’un Gamma knife. Cet appareil médical permet de brûler une tumeur cervicale à l’aide de rayons, mais il faut soigneusement doser ces derniers et multiplier les angles d’attaque pour ne pas endommager les zones ultrasensibles du cerveau. C’est ce que le calcul parallèle permet d’optimiser dans un délai imparti pour chaque opération.
Le mémoire de master de M. Janka analyse comment la méthode de décomposition de domaine élaborée par Hermann Schwarz en 1870 permet à des superordinateurs de communiquer entre eux lorsqu’ils travaillent en parallèle sur un problème complexe. Ales Janka a pu utiliser cette même technique lorsqu’il a effectué son doctorat, à l’INRIA Sophia Antipolis, près de Nice. Il y a développé des méthodes multigrilles pour la résolution d’équations différentielles décrivant l’écoulement des fluides compressibles.
Son travail a intéressé Dassault Aviation, qui l’a invité à participer au développement d’un petit jet supersonique. Mais l’accident du Concorde du 25 juillet 2000 a compromis les perspectives commerciales du projet et Ales Janka a poursuivi sa carrière en Suisse, où il a intégré un gros projet que l’EPFL conduisait depuis des années pour Alusuisse. Le producteur d’aluminium avait constaté que ses cuves de métal en fusion, à près de 1000 degrés, étaient traversées par des courants électriques d’une intensité jusqu’à 500 kiloampères qui déstabilisaient la surface du liquide. Les méthodes de calcul numérique développées par Ales Janka ont permis de résoudre plus efficacement la partie magnétique du problème.
De la mécanique des fluides, il est passé à celle des solides, adaptée aux tissus en croissance, en entamant en 2006 un post-doctorat qu’il a consacré à la modélisation mathématique de la croissance des plantes, en collaboration avec les départements de biologie des universités de Fribourg et de Berne. À son terme, en 2011, il a été engagé comme professeur de mathématiques à la HEIA-FR, où il a rejoint l’institut de recherche appliquée iCoSys. «Mais je collabore étroitement avec l’ISC et mes collègues du Génie mécanique», précise le professeur Janka. «Mes projets sont en fait toujours coopératifs, en association avec un spécialiste. Je suis parfois aussi sollicité en cours de route». C’est le cas, par exemple, en 2017 quand ses collègues Vincent Bourquin, Richard Baltensperger et Jean-Luc Robyr se sont mis au service de l’équipe Fribourg Challenge, qui a pulvérisé le record du monde de vol en ballon en compétition. Une des questions intéressantes consistait à savoir si l’air se mélangeait bien à l’hydrogène à l’intérieur du ballon, sans pouvoir y introduire le moindre instrument de mesure en raison de l’explosivité du gaz. Le Professeur Janka a alors fait le lien entre le ballon et les cellules des plantes, qui disposent elles aussi d’enveloppes rigides pressurisées. Il a donc recyclé son modèle pour prédire la forme du ballon selon différentes hypothèses. Une simple comparaison avec la forme effective a permis de délivrer une réponse inattendue, qui a sans doute permis à Fribourg Challenge de voler quelques heures de plus.
Depuis quelque temps, enfin, Ales Janka a repris de Pascale Voirin la coordination de FRISAM (Fribourg Statistiques et Applications des Mathématiques), un groupement de mathématiciens des hautes écoles fribourgeoises qui répond aux demandes des industriels lorsque ceux-ci se heurtent à des problèmes mathématiques et qui propose des formations à Python, Matlab ou R, ou encore à l’utilisation des statistiques dans le machine learning.