La fibre du béton
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La fibre du béton, Dario Redaelli l’a attrapée très jeune, sur les chantiers de la région milanaise, au sein de l’entreprise de construction familiale. Aujourd’hui, il ajoute des fibres au béton pour créer des matériaux ultra-performants. 

Comme sa couleur, grise, le béton se décline en de multiples nuances, pour des applications bien spécifiques. Au-delà du béton ordinaire, utilisé pour la construction de la plupart des structures de bâtiments et d’ouvrages d’art, on trouve par exemple du béton produit à partir de matériaux recyclés, du béton à haute et très haute résistance, du béton textile ou encore du béton fibré. Dario Redaelli consacre en 2003 sa thèse de Master à ce dernier au Politecnico di Milano. «Le béton est très bon en compression, mais mauvais en traction, déclare-t-il. En ajoutant au mélange des fibres de la taille d’une épingle à cheveux, on offre au béton une certaine capacité à transmettre des forces de traction, même après sa fissuration».

Dario Redaelli poursuit ses études avec un doctorat à l’EPFL traitant des éléments de structure en béton fibré ultra-performant, le BFUP. Celui-ci ne contient plus de gravier, mais seulement du sable, des granulats fins et différents additifs sous forme de fines poudres. «En optimisant sa granulométrie, on transforme le béton en une sorte de céramique, compacte, étanche et extrêmement résistante, mais très cassante. C’est pourquoi on ajoute des fibres en acier à haute résistance d’une dizaine de millimètres de long, jusqu’à 300 kg par m3. Pour certaines applications structurales, cela permet de se passer en grande partie des barres d’armature traditionnelles. On peut ainsi construire des éléments avec des épaisseurs de 30 à 40 mm et des formes beaucoup plus variées».

Son travail de doctorant l’amène à collaborer avec le professeur René Suter de la HEIA-FR, où il aura également l’occasion de présenter sa thèse lors du Young Engineering Symposium organisé à Fribourg par le groupe suisse de l’Association internationale des ponts et charpentes. L’école, avec ses infrastructures et son organisation, lui fait tout de suite très bonne impression. Sa carrière se poursuit avec un poste de chef de projet dans un bureau d’ingénieurs de Carouge, mais l’expérience de l’enseignement, qu’il avait connue en tant qu’assistant à l’EPFL et lors d’interventions à l’HEPIA, lui manque. Si bien que lorsqu’un poste de professeur se présente à la HEIA-FR, il franchit le pas sans hésiter. Malgré son intérêt pour les projets et les chantiers, ceux-ci ne font pas le poids face à son enthousiasme pour la recherche et le transfert de connaissances. «Il ne s’agit pas seulement de développer de nouveaux matériaux, mais d’enseigner comment les utiliser.»

L’ingénierie civile souffre en effet d’une grande inertie. Le BFUP a été inventé il y a bientôt 40 ans, mais les ingénieurs sont encore très loin de l’utiliser à la hauteur de son potentiel. Si son coût, 10 fois celui du béton ordinaire, peut au premier abord sembler prohibitif, ses qualités peuvent le rendre très compétitif. Comme il permet de réaliser des structures beaucoup plus fines que le béton ordinaire, les volumes nécessaires sont beaucoup moins importants, les structures sont légères et l’impact environnemental global est réduit. La légèreté des structures en facilite la préfabrication, le transport et la pose, ce qui permet de gagner un temps considérable sur les chantiers, paramètre déterminant lorsqu’il s’agit d’intervenir sur un pont d’autoroute ou une ligne ferroviaire. Ce gain de temps est encore renforcé par le fait que le BFUP permet de se passer d’une couche d’étanchéité. Enfin, sa durée de vie est potentiellement 5 à 10 fois supérieure à celle du béton ordinaire. «C’est lorsqu’une combinaison de facteurs plaide en faveur du BFUP que son utilisation devient très avantageuse». C’est notamment le cas pour l’assainissement d’ouvrages existants, tel que le viaduc de Chillon, les ponts sur la Paudèze (VD), le viadotto delle Fornaci (TI) et de nombreux autres ponts en Suisse, où l’utilisation rationnelle du BFUP a permis de renforcer et étancher la structure existante sans rajouter de poids. «C’est un domaine où la Suisse fait œuvre de pionnière» affirme le professeur Redaelli.

Au-delà de l’enseignement, Dario Redaelli exécute des mandats pour des entreprises spécialisées de la branche et mène des projets de recherche axés sur l’analyse, la modélisation et le dimensionnement d’éléments en béton, béton de fibres et BFUP. Dans ce contexte, il collabore par exemple avec le Politecnico di Milano pour évaluer la durabilité et l’impact environnemental de la construction en BFUP et, au sein du Smart Living Lab, avec le Professeur Corentin Fivet de l’EPFL pour le développement de systèmes porteurs de bâtiments modulaires et réutilisables. Avec sa collègue, la Professeure Mylène Devaux, il étudie l’utilisation du BFUP en couches minces pour le renforcement parasismique des bâtiments existants. Depuis peu, en collaboration avec le Professeur Marco Viviani de la HEIG-VD, il analyse le potentiel d’une nouvelle technique de construction écologique, basée sur la projection de terre d’excavation stabilisée.

À long terme, le professeur Redaelli entend développer les outils permettant aux ingénieurs de connaître toute la palette des matériaux cimentaires et de les utiliser au meilleur escient. C’est dans cette perspective qu’il fait partie des groupes techniques de la SIA pour le béton fibré et pour le BFUP. «Pour qu’un ingénieur recoure à un matériau, il faut également qu’il dispose d’une norme, d’une cote, conclut-il». 

Répertoire des compétences HES-SO

8 septembre 2020